Les mots du débat sur la fin de vie
"Euthanasie passive", "double effet", "obstination déraisonnable"... Difficile de s'y retrouver dans le vocabulaire employé dans le domaine de la fin de vie. Le personnel médical emploie parfois des mots malcompris par la personne soignée et par ses proches, tandis que certains termes et expressions se chargent d'idéologie et de connotations dont il faut décrypter les enjeux.
- "Aide active à mourir" et "aide médicale à s'éteindre"
La distinction entre ces deux notions est au cœur de la loi Leonetti sur la fin de vie de 2005. Tout en condamnant tout geste "actif" d'euthanasie, la loi Leonetti permet, quand il n'y a plus d'espoir de guérison et qu'un patient le souhaite, d'arrêter les traitements qui le maintiennent en vie, ou si le corps survit à l'arrêt des traitements, d'arrêter l'alimentation et l'hydratation. Le protocole doit alors inclure des traitements pour soulager des douleurs et de l'agonie.
- "Faire mourir" et "laisser mourir"
Ces deux termes renvoient à la distinction précédente. Quand ils sont employés par les partisans de l'aide active à mourir, ils véhiculent l'idée que la loi Leonetti, en autorisant le "laisser mourir", condamne des personnes àmourir d'agonie. Prononcés par des opposants à l'euthanasie, ils soulignent que le "faire mourir" équivaut à un meurtre.
- Euthanasie
En grec, l'euthanasie signifie la "bonne mort". Ce terme était utilisé dans l'antiquité pour qualifier une mort réussie, sans souffrance, à l'issue d'une vie réussie. L'euthanasie pouvait ainsi désigner la mort sur le champ de bataille de glorieux combattants. Aujourd'hui, le terme euthanasie désigne un geste actif entraînant un décès, commis sur un patient souhaitant mourir. Trois pays ont dépénalisé l'euthanasie : la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. On entend parfois parler d'euthanasie active ou passive, certains qualifiant le "laisser mourir" du protocole Leonetti d'euthanasie passive. Pour beaucoup de médecins, le terme "euthanasie passive" est un non-sens car l'euthanasie implique forcément un geste actif.
- Suicide assisté
Contrairement à l'euthanasie, où une personne tierce réalise le geste qui entraînera la mort, dans le suicide assisté, c'est le patient lui-même qui s'auto-administre la potion létale fournie par un tiers. En France, le suicide n'est pas pénalisable, mais la provocation au suicide est un délit et la non-assistance à personne en danger autorise les poursuites. En Suisse, le suicide assisté et les associations qui le promeuvent sont autorisés ; les associations qui accompagnent des personnes vers le suicide parlent d'auto-délivrance. Le suicide médicalement assisté est également légal dans quelques Etats américains – en Oregon depuis 1997, dans l'Etat de Washington et dans le Montana depuis 2009 – mais les associations le promouvant y sont interdites. Le 6 novembre, les électeurs du Massachusetts se prononceront à leur tour sur la légalisation du suicide assisté.
- Exception d'euthanasie
Dans le débat politique français, cette expression revient souvent, en s'appuyant sur le fait que les demandes d'euthanasie restent exceptionnelles et ne concerneraient que quelques cas chaque année en France. En 2000, lecomité consultatif national d'éthique avait formulé des recommandations en faveur de la mise en place d'une "exception juridique d'euthanasie" qui ne remettrait pas en cause l'interdit pénal inscrit dans la loi. Cette disposition pose toutefois la question de savoir qui déciderait et selon quels critères d'accorder une exception à une demande d'euthanasie ?
- "Directives anticipées" et" personne de confiance"
La loi Leonetti a introduit la notion de directives anticipées, qui peuvent être utilisées en cas de perte de la capacité d'expression. Celles-ci doivent être écrites et dater de moins de trois ans avant l'état d'inconscience du patient. Sorte de "testament médical", elles sont révocables à tout moment. Le médecin est tenu de les prendre en compte, mais pas nécessairement de lesappliquer, partant du principe que l'opinion d'un malade peut évoluer. L'Observatoire national sur la fin de vie (ONFV) a constaté que moins de 1,5 % des Français avaient rédigé des directives anticipées. Le dispositif est méconnu et tous les professionnels soulignent la difficulté pour un patient d'imaginer le pire et de se projeter dans un avenir qu'il ne souhaite pas voiradvenir.
De même, la désignation d'une personne de confiance est peu utilisée et souvent confondue, lors d'une hospitalisation, avec la "personne de contact". La personne de confiance est celle qui pourra aiguiller les médecins sur la volonté du patient en cas de perte d'autonomie.
- Double effet
De nombreux médicaments, notamment les opioïdes, ont un "double effet" : ils peuvent soulager la douleur mais avoir comme effet secondaire, à certaines doses, d'augmenter le risque de décès. La loi Leonetti a rendu légal en 2005 le recours à ce double effet, à condition que le patient soit informé de l'effet secondaire du traitement. Le double effet était déjà utilisé dans le passé, mais avec la crainte pour le médecin d'éventuelles poursuites judiciaires.
- "Acharnement thérapeutique" ou "obstination déraisonnable"
L'acharnement thérapeutique est condamné par la loi Leonetti, mais sa définition est ambivalente. Dans certains cas, maintenir l'alimentation de quelqu'un sera considéré comme de l'acharnement thérapeutique, tandis qu'il s'agira d'un protocole normal pour d'autres. Le terme a été remplacé dans la loi par celui d'"obstination déraisonnable" et de "traitement jugé déraisonnable". Ce terme lève les ambiguïtés car il place le ressenti du patient au cœur de la définition légale du terme. Le contraire de l'acharnement thérapeutique est l'abandon médical. Tous deux sont combattus à parts égales par les unités de soins palliatifs et par l'esprit de la loi Leonetti.
- Personne hors d'état d'exprimer sa volonté
La loi Leonetti autorise la mise en place d'une procédure collégiale (avec consultation des directives anticipées, de la personne de confiance, de l'équipe de soins et d'au moins un deuxième médecin) pour décider de la suite d'un traitement, si le patient est "hors d'état d'exprimer sa volonté". Mais la définition de la capacité de quelqu'un à exprimer sa volonté fait débat. Le professeur Régis Aubry, directeur de l'Observatoire national de la fin de vie, souligne que même lorsqu'un patient n'a plus l'usage de la parole et la maîtrise de son corps, le médecin doit être attentif au moindre signal d'expression et de communication.
- Sédation
La sédation est un procédé médicamenteux par lequel un patient est endormi, plongé dans un coma artificiel, pour être soulagé de ses douleurs physiques et psychiques. Elle peut être utilisée sur un laps de temps très court et est fréquemment utilisée en réanimation. La sédation est terminale quand elle plonge dans l'inconscient le patient incurable jusqu'à sa mort. La médecinepratique également des sédations avec réveils provoqués, appelées parfois le "stop ou encore" sédatif, pour demander à intervalles réguliers au patient s'il souhaite reprendre ou arrêter des traitements.
- "Palliativisme" et "eugénisme"
Pour les partisans de la mort assistée, le "palliativisme" renvoie au fait que les demandes de mort de patients incurables se heurtent en France à la culturedes soins palliatifs. Résumé par le sociologue Philippe Bataille (lire l'entretien "Les malades sont culpabilisés de vouloir hâter leur propre mort"), le palliativisme désigne "l'idéologie" des soins palliatifs selon laquelle "on ne doit jamais hâter ni retenir la mort", la mort ne devant pas être le résultat de la médecine.
A cette dénonciation, les adversaires de l'euthanasie opposent le risque d'eugénisme qu'entraînerait une dépénalisation de l'aide active à mourir. Le débat sur la fin de vie pose en effet la question de la place des personnes vulnérables dans nos sociétés. Pour les opposants à l'euthanasie, si celle-ci était légalisée, elle fragiliserait la dignité en tant que sujets des personnes malades, fragiles, handicapées.
- "Liberté" et "dignité"
Deux termes qui reviennent souvent dans le débat sur la fin de vie, mais qui arborent un sens très différent selon la personne qui l'emploie. Mourir dans la dignité peut recouvrir de nombreuses réalités : mourir sans souffrance, conscient, sans être affaibli, en étant entouré de ses proches... De même, la liberté est un terme vague. A-t-on la liberté de choisir sa mort ? Et cette liberté doit-elle devenir un droit opposable ? Le débat sur la fin de vie revient forcément à s'interroger sur ces notions philosophiques
- Mathilde Gérard
Journaliste au Monde
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